Les petits enfants du siècle
Christiane Rochefort

Je suis née des Allocations
et d'un jour férié dont la matinée s'étirait, bienheureuse,
au son de " Je t'aime Tu m'aimes "
joué à la trompette douce.
C'était le début de l'hiver,
il faisait bon dans le lit,
rien ne pressait.

À la mi-juillet mes parents se présentèrent à l'hôpital.
Ma mère avait les douleurs.
On l'examina et on lui dit que ce n'était pas encore le moment.
Ma mère insista qu'elle avait les douleurs.
Il s'en fallait de quinze bons jours, dit l'infirmière; qu'elle resserre sa gaine.

Mais est-ce qu'on ne pourrait pas déclarer tout de même
la naissance maintenant? demanda mon père.
Et on déclarerait quoi dit l'infirmière:
une fille, un garçon, ou un veau?
Nous fûmes renvoyés sèchement.

Zut dit mon père, c'est pas de veine,
à quinze jours on loupe la prime.
Il regarda le ventre de sa femme avec rancoeur.
On n'y pouvait rien.
On rentra en métro.
Il y avait des bals, mais on ne pouvait pas danser.

Je naquis le 2 août.
C'était ma date correcte puisque je résultais du pont de la Toussaint.
Mais l'impression demeura, que j'étais lambine.
En plus j'avais fait louper les vacances,
en retenant mes parents à Paris
pendant la fermeture de l'usine.
Je ne faisais pas les choses comme il faut.

J'étais pourtant, dans l'ensemble, en avance:
Patrick avait à peine pris ma place dans mon berceau
que je me montrais capable, en m'accrochant,
de quitter la pièce dès qu'il se mettait à brailler.
Au fond je peux dire que c'est Patrick qui m'a appris à marcher.

Quand les jumeaux,
après avoir longtemps été égarés dans divers hôpitaux,
nous furent finalement rendus
– du moins on pouvait supposer que c'était bien eux,
en tout cas c'était bien des jumeaux –
je m'habillais déjà toute seule
et je savais hisser sur la table
les couverts, le sel, le pain et le tube de moutarde,
reconnaître les serviettes dans les ronds.

" Et vivement que tu grandisses, disait ma mère,
que tu puisses m'aider un peu. " 

***

Ça vous donne envie de lire la suite ?

 



Port.


" Coup de frein sur la gratuité des frais de port
d'un livre acheté sur le site internet Amazon.
Les opérateurs en ligne ne pourront bientôt plus
cumuler la gratuité des frais de port du livre
avec la remise autorisée de 5%.
C'est le but d'une proposition de loi adoptée jeudi à l'unanimité par les députés.
Droite et gauche ont uni leurs voix
pour adopter ce texte déposé par l'UMP et amendé par le gouvernement.
Il devra maintenant passer au Sénat."

Alors.
En tant que client régulier d'Amazon,
ce n'est certainement pas ça qui va changer mes habitudes.
Ni celles, j'en suis convaincu, de l'immense majorité de ses clients.

Le prix n'est certainement pas la raison principale
pour laquelle je passe des commandes chez eux.
C'est plus la qualité du service,
le grand choix,
la disponibilité des articles,
le professionnalisme de la livraison et de son suivi sur internet.
J'ai déjà essayé ailleurs.
Incomparable avec les emballages et les délais de livraison d'Amazon.
Je ne me fais jamais de souci en commandant.

Si je dois me déplacer exprès pour un livre,
déplacement en voiture,
risque d'embouteillage,
place de parking payante à trouver,
trouver le livre dans une librairie,
si pas trouvé le commander,
reprendre sa voiture non abîmée avec un peu de chance,
rentrer chez soi.
Je ne trouve rien d'agréable dans cette démarche.
Et dix jours plus tard, si le livre a été commandé,
encore une fois le même cirque.
Et une fois sur deux le livre n'est pas encore arrivé
et le libraire ne peut pas dire quand il arrivera.

Oui, j'ai fréquenté les librairies avant l'arrivée d'Amazon.
Non, ce n'était pas mieux avant.

Il y a quand même un gag dans cette histoire,
Le gouvernement reproche à Amazon de ne pas payer tous ses impôts en France.
Ce qu'ils ne sont pas obligés de faire.
Mais maintenant qu'Amazon va facturer le port,
Amazon va gagner encore plus d'argent
 qui ne sera pas imposé en France.

Ça c'est un beau cadeau que les députés lui ont fait.
C'est con les députés.

 



... un Alsacien.





Il est facile de savoir si on est ou non un Alsacien.
Je vous explique.

On est un Alsacien

– si on est content d'avoir deux jours fériés de plus que le reste de la France

– si on habite un village dont le nom finit par "heim", "bach" ou "willer"

– si on a au moins une connaissance qui s'appelle Muller, Meyer ou Schmitt

– si on mange des kneppfla, des lawerkneppfla et du baeckeoffe

– si on prend un "schtuck" et pas un morceau

– si on a eu droit  aux cours de religion à l'école

– si on a eu droit à la visite de saint Nicolas
(ce qui m'a longtemps dégoûté du pain d'épices)

– si on se fait de petits sandwichs avec des moricettes

Miam

– si on sait que l'Alsace est en France et non pas en Allemagne

– si on n'a pas droit à l'annulation des cours dès qu'il neige

– si on dit "Hopla" dès qu'on a un élan de motivation

– si on vous interdisait de parler l'alsacien dans la cour de l'école sous peine de punition
(et ça rigolait pas)

– si on connaît plein d'injures imprononçables

– si à l'époque de la télévision analogique
on avait sur le toit un mât avec sept antennes
(seulement dans le sud de la région, pauvres Strasbourgeois)

– si on se fait rembourser 90% des frais médicaux par la sécu
(au lieu de 70%, 60% ou 35%, et en plus le régime local est à l'équilibre)

– si on s'énerve lorsqu'un Alsacien est interviewé à la télévision
et que les reporters font exprès de choisir celui qui a le pire accent du village
(c'est peut-être aussi le seul qui accepte de leur répondre)

– si on boit de l'eau Carola ou Lisbeth,
(la Wattwiller c'est pour les touristes et les "Français de l'intérieur")

– ah oui, si tous ceux qui n'habitent pas en Alsace sont des "Français de l'intérieur"
(les notaires alsaciens parlent de "Vieille France")

– si on assaisonne les salades avec du Melfor

– si on a attendu le TGV pendant 24 ans
et que la ligne n'est toujours pas complètement construite (2030? 2050?)

– si on passe la frontière avec des cartons de crémant dans le coffre
et qu'on dit sans rougir au douanier qu'on n'a rien à déclarer

Ce n'est pas entièrement de moi, j'en ai trouvé une partie sur le web.

Intéressant aussi cet article de la désencyclopédie :
http://desencyclopedie.wikia.com/wiki/Alsace
c'est drôle et pas complètement faux.
Au bas de la page il y a des liens vers les articles couvrant d'autres régions.
Mes voisins Lorrains sont particulièrement à plaindre.
Leur région a eu l'honneur de voir naître, entre autres,
Ségolène Royal, Nadine Morano et Cindy Sander.
Mais ils ont quand même échappé
à Rachida Dati, Arnaud Montebourg, Patrick Balkany, Cécile Duflot et Nabilla.
C'est gentil d'en avoir laissé pour les autres.

 



Journée mondiale de lutte contre la maladie d'Alzheimer.

 


Mon petit paradis.


D'après ce que la presse affirme régulièrement,
et dans ce cas précis elle a probablement raison,
pour rester en forme, il faut une activité physique régulière.
Et éviter de rester assis derrière son bureau.

Moi, ma journée d'activité physique c'est

Parking -> Bureau
Bureau -> Machine à café
Machine à café -> Bureau
Bureau -> Cantine
Cantine -> Bureau
Bureau -> Machine à café
Machine à café -> Bureau
Bureau -> Parking

Et en plus je me dope à l'ascenseur.

J'ai donc décidé de réagir.
Et depuis quelque temps s'est rajouté deux fois par jour

Bureau -> Local de tri séléctif
Local de tri sélectif -> Bureau

Je vous explique.

Le local de tri sélectif est devenu,
après la cantine et surtout la sortie du parking,
mon endroit préféré.

C'est le local où l'entreprise stocke tous ses déchets électroniques
avant qu'ils ne soient recyclés.
Normalement on ne peut pas y jeter d'appareils privés.
Heureusement certains employés enfreignent cette interdiction.
Faut vous dire que cette histoire se passe à l'estranger,
un estranger où il faut déposer
ses ordures encombrantes devant chez soi à côté des ordures ménagères,
mais en les agrémentant d'un timbre-taxe.
En ce moment, avec l'arrêt de la télévision analogique,
ce sont les vieux téléviseurs qui tiennent le haut du pavé.
Mais si on est patient et persévérant,
c'est-à-dire si on prend la peine de passer régulièrement devant les conteneurs,
c'est-à-dire au moins deux fois par jour.
la pêche peut être intéressante.
Vieux magnétoscopes,
lecteurs de DVD, de CD,
de cassettes audio,
 vieux transistors,
morceaux dépareillés de chaînes hi-fi,
ordis,
portables,
consoles de jeux,
connectique diverse et variée,
s'amassent dans cette caverne d'Ali Baba.

Le problème c'est que les objets jetés s'abîment souvent
quand ils atterrissent dans le conteneur.
L'autre problème c'est la concurrence des autres employés.
On est quelques-uns à faire de la récup.
Chiffonniers des temps modernes nous sommes.
Mais comme on n'a pas forcément les mêmes centres d'intérêt,
on se refile les trucs qui ne nous conviennent pas
en espérant un jour un renvoi d'ascenseur.

Il y en a c'est la pause cigarette.
Nous c'est la pause poubelle.
C'est sûr qu'il y a moins de jolies filles autour des poubelles
qu'autour des cendriers.
Il n'y en a même pas du tout.
Mais un vieux transistor ça cause bien moins de désagréments.
Et garde son charme beaucoup plus longtemps.


C'est beau un transistor la nuit.
Le jour aussi d'ailleurs.

***

" Belle comme une poubelle "
– Robert Wyatt –