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tost

Samedi 20 septembre 2008 6 20 /09 /Sep /2008 06:31



Vous avez raté votre vie?
Avec nous vous réussirez votre mort!



Un petit bijou d'humour noir signé Jean Teulé.
Peu de pages, des chapitres très courts, c'est écrit assez gros, ça se lit sans faim.
Et ça ne coûte que cinq euros en édition de poche.


Un magasin qui ne vend que des articles pour suicides
depuis des générations.
La boutique se trouve située rue Bérégovoy.

Un petit extrait du chapitre 7.

*

– Ce serait...
Ce serait comme une fête foraine pour les gens qui veulent en finir avec la vie.
Au stand de tir, les clients paieraient, mais pour être la cible.
Mishima, écoutant Vincent, s'assied sur le lit:
– Mon fils est un génie.
– Ce serait un parc d'attractions si fatal.
Dans les allées des larmes ruisselleraient, douces,
le long des joues de la clientèle,
parmi les odeurs de fumée des frites et des champignons vénéneux qu'on y vendrait.
" Amanites phalloïdes ! ... " crie Vincent dans la chambre
et Lucrèce et Marilyn sont aussi dans l'ambiance,
sentent l'odeur des frites...
– Des orgues limonaires moudraient des chansons tristes.
Des manèges à éjection
propulseraient les gens comme des lance-pierres au-dessus de la ville.
Il y aurait une très haute palissade
d'où les amoureux se jetteraient, ainsi que d'une falaise,
en se tenant par la main.
Marilyn croise et frotte les siennes.
– Des rires sanglotés dans le fracas des roues d'un train fantôme
fileraient à l'intérieur d'un faux château gothique
plein de pièges cocasses et tous mortels:
électrocution, noyade, des herses aiguisées s'abattraient dans les dos.
Les amis ou parents venus accompagner un être accablé
repartiraient avec une petite boîte contenant les cendres du désespéré
car il y aurait au bout du manège un crématorium
où tomberaient les corps l'un après l'autre.
– Il est formidable, dit le père.
– Papa en alimenterait la chaudière. Maman vendrait les tickets...
– Et moi, à quoi je servirais? demande Marilyn. Où serait ma place?
...

– Dans les allées, des employées déguisées en vilaines sorcières
proposeraient des pommes d'amour empoisonnées.
" Tenez, mademoiselle. Mangez cette pomme empoisonnée... ",
puis elles iraient voir quelqu'un d'autre.
– Je pourrais faire ça, moi, suggère Marylin. Je suis moche.
Le fils aîné expose tous ses projets:
les cabines de la Grande Roue dont le plancher se déroberait à vingt-huit mètres de hauteur
et le Grand Huit incomplet dont les rails ascendants, après une descente vertigineuse,
s'arrêteraient brusquement en plein élan.
Il exhibe la maquette qu'il a tout à l'heure démolie d'un coup de poing
tandis que son petit frère, quittant sa chambre,
passe devant la porte ouverte de celle de Vincent
en fredonnant et claquant ses doigts en rythme:
– Don't worry, be happy!...
Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes se retourne et crispe ses poings vers lui.
Les doigts à castagnettes d'Alan sont pour elle et son mari comme un abîme.

*

Puis le roman prend une autre direction.
Le plus jeune fils,
enfant non désiré mais né de la conscience professionelle des commerçants,
(ils avaient testé un préservatif troué permettant d'attraper des MST),
va changer la direction du commerce.

Un extrait du chapitre 32 qui révèle un Teulé plus mélancolique.

*

Quand elle était petite fille – quatre ans, cinq ans –
sa mère lui demandait de l'attendre après la classe,
assise sur un banc du préau de l'école maternelle,
et lui promettait que, si elle était très sage, elle ferait un tour de balançoire.
Sa mère était très souvent en retard, parfois ne venait pas,
alors la directrice de l'école disait à l'enfant de rentrer toute seule chez elle.
Le père, malgré ses promesses, ne venait jamais.
Et souvent, le soir, la petite fille attendait sagement, tellement sagement,
que sa mère vienne et le tour de balançoire.
En a-t-elle jamais fait des tours de balançoire?
Lucrèce ne s'en souvient pas, elle ne se rappelle que l'attente,
la fantastique attente de sa mère qui la regarderait faire un tour de balançoire.
Ses petites mains potelées, aux extrémités des doigts relevés
posées à plat sur les cuisses et le buste dressé, pas du tout avachi,
les yeux grands ouverts, elle regardait droit devant elle.
Elle regardait tout droit devant elle mais ne voyait rien!
Elle n'était que sage, tellement sage comme une image
que sa mère viendrait forcément, tellement elle était sage!
Elle s'interdisait tout mouvement, pas une parole, pas un souffle de soupir.
Elle attendait si sagement que sa mère ne pouvait que venir.
Si le bout de son nez la démangeait
ou qu'une socquette avait glissé sur sa cheville, elle restait immobile.
Maman viendrait.
Elle dissolvait en elle-même,
aspirait la démangeaison au bout du nez,
la fraîcheur au mollet de la socquette glissée.
Elle avait appris à intégrer ça.
Elle savait se rassembler, apprenait à devenir zen.
Quand plus tard elle verra des reportages sur les anciens bonzes,
elle comprendra qu'à quatre ans déjà
elle savait se placer dans le même état mental.
Elle a gardé de sa petite enfance la faculté de cette absence,
cette manière de soudain sembler regarder très loin devant elle.
C'est un grand trou dans sa tête
comme lorsqu'elle attendait sa mère sur un banc du préau de l'école.
Elle s'y minéralisait, ne sentait plus rien de son corps,
pourrait jurer qu'elle ne respirait plus.
Lorsque la mère arrivait, sa fille n'était plus en vie.

*

On a l'impression au bout d'un moment que Teulé n'a pas osé aller au fond de son trip.
Jusqu'aux quatre mots de la dernière phrase du roman...
 

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