Ou comment j'ai failli devenir Ben Laden.
Quand j'étais petit,
j'allais souvent à la bibliothèque.
Surtout pendant les vacances.
Et j'y empruntais fréquemment
un livre d'activités paru aux Éditions Larousse.
" Jeux et loisirs de la jeunesse ".
J'en ai retrouvé une réédition dernièrement
en fouillant dans une caisse de vieux livres.
Au milieu de pages consacrées
à la connaissance de la flore, de la faune,
des insectes, des oiseaux, des poissons et autres mammifères,
des richesses de la campagne et de la forêt
(ah, les différentes façons de faire du feu,
on ne parlait pas encore de canadair),
de la mer et de la montagne,
des voiles des voiliers de toutes sortes,
à la construction de tipis indiens,
aux saines activités de boy-scout,
etc.
on y trouve moult choses très intéressantes.
Je dois quand même préciser que ce livre me faisait surtout de rêver.
Parce que les réalisations proposées étaient largement
au-dessus des facultés de bricolage d'un enfant,
ou le plus souvent même d'un adulte.
Les rares fois où je m'y suis essayé,
le résultat était catastrophique,
surtout que j'adaptais
le bricolage aux matières premières dont je disposais.
On trouvait d'abord un chapitre consacré aux moteurs-jouets,
( " c'est facile et par les moyens les plus simples... " )
et celui consacré aux jouets et petits meubles en bois
(dans les explications on demandait quand même
un grand établi et la plupart des outils de base du menuisier).
Puis, ah, ça commence à devenir intéressant,
des tours de physique amusante.
Elle devait être contente maman
quand on lui empruntait sa belle bague
pour faire des expériences de physique.
Ensuite venaient les amusements électriques.
Essayez donc de trouver en province au début des années 60,
en plein avènement du transistor,
une galène et 250 m de fil cuivre émaillé (environ 1 kg de cuivre...)
pour fabriquer un poste de radio.
L'électrolyse et la fabrication de piles économiques y étaient abordées aussi.
(oui, vous lisez bien,
" pile économique "
et
" tassement de la braise de boulanger ",
le floutage de l'autre produit est volontaire)
Je pouvais apprendre ensuite
la poterie avec bien sûr d'abord la fabrication du tour,
ainsi que les travaux d'intérieur et de maçonnerie
" Le verre ordinaire se coupe sans aucune peine.
On peut user les parties coupantes
en les frottant avec une pierre de carborundum trempée dans l'eau ".
(Pourvu que Gilbert n'essaie jamais).
Dans ce livre, l'enfant que j'étais apprenait également
à couler une dalle en béton armé
et à monter un petit mur de brique.
Tous les enfants rêvent de ça.
Leurs parents sûrement aussi.
Les joies des ficelles, du raphia et de la vannerie sont aussi expliquées.
C'est quand même fou,
presque chaque rubrique, même celle du raphia,
nécessite des objets coupants, pointus et souvent lourds.
Les avions.
(ah, l'ouate imbibée d'alcool pour faire bouillir l'eau
ce qui produisait de la vapeur qui faisait avancer l'avion...
enfin les auteurs le prétendaient).
Jamais réussi à faire un avion.
Ou plutôt si.
À force de recherches en cachette à l'école,
j'ai développé un pliage en papier
qui épate encore aujourd'hui ceux qui le voient voler.
Mais aucun rapport avec ce livre,
l'avion en papier ça devait paraître trop simple aux auteurs.
Et n'oublions pas les créations en métal.
Je ne vous dis pas les instruments de torture
qu'il fallait posséder
pour créer un bracelet ou un collier.
Mais le point d'orgue de ce livre,
ce sont les amusements de chimie.
" Il faut broyer chaque poudre séparément,
puis opérer le mélange et ne plus broyer du tout,
sous peine d'explosion... "
J'ai flouté volontairement
le nom des produits chimiques employés pour ces expériences.
Aujourd'hui on se ferait fermer un site web pour moins que ça.
Et je me retrouverais incarcéré pour activités terroristes.
Un petit aparté.
Ça devait être dans l'air du temps.
Un prof de chimie nous avait expliqué comment fabriquer de la poudre noire.
Et bien sûr, en rentrant chez moi,
je devais avoir une douzaine d'années,
je me suis arrêté dans une droguerie, une vraie,
une de celles qui à l'époque vendait plein de produits chimiques bizarres.
Le droguiste a emballé les produits que je lui demandais,
mais avant de me les donner m'a quand demandé
" Et tu veux faire quoi avec ces produits ? ",
et moi
" C'est pour faire des expériences à l'école ".
Ça l'a rassuré et j'ai pu effectuer mes expériences dans ma chambre.
C'est dingue le prestige de l'école à l'époque.
Mais les auteurs du livre n'étaient pas des irresponsables.
Ils apprenaient aussi la sécurité aux enfants.
Ils expliquaient comment expérimenter
le principe de l'alarme-incendie.
Sur le courant du secteur
avec l'aide d'une bougie.
Il faut ce qu'il faut.